Monstra te esse matrem

Elle a cinq enfants à sa charge. Quand elle tombe parterre, elle s'arrange toujours pour qu'ils soient tous au lit. Sa nounou la réveille tous les jours à six heures du matin. Caitlinn sursaute. Sa chevelure blonde grisonnante découvre son visage de future quinquagénaire. Le noir de son rimmel se mêle au rose de ses lèvres. Elle court vers la cuisine et  ouvre une canette de Diet Coke pour démarrer la journée. Il lui reste une demi-heure pour se ravaler la façade. Le petit dernier pleure dans sa chambre. Le bruit des pantoufles de Denise le calme très vite. Les trois grands se prépareront seuls.

Caitlinn consulte ses différentes messageries et réseaux sociaux. Elle répond cordialement à toutes les demandes diverses. Elle s'occupe de trois associations et préside le comité des parents d'élèves. La gouvernante accélère le pas car la mère de famille attend d'un pied ferme dans son 4 /4.  

Depuis le garage, elle hurle le nom des deux derniers pour les déposer à l'école. L'employé se souvient de la réaction violente de Caitlinn rentrée un jour mécontente après une entrevue avec le directeur de l'école.

-Vos enfants arrivent trop souvent ...

-Je suis d'accord, Monsieur.

-Le zip de leur veste est toujours entrouvert donc...

-Oui, Monsieur.

-Cela oblige nos enseignantes à faire votre travail, vous comprenez? »

Bien contente que toute sa tribu fasse partie de cette prestigieuse école, Caitlinn avait acquiescé sans rajouter un mot. A son retour, elle avait convoqué la baby-sitter à une réunion sous son propre toit. Autour d'un verre de rouge, elle avait répété à Denise les mots du directeur :

-C'est votre travail.

-Oui, madame.

-C'est votre travail.

Denise, se dépêche alors de commencer le nettoyage de la cuisine avant de se mettre à la préparation du déjeuner. Caitlinn court vers son bureau. Un nouveau centre social allait être inauguré dans la ville. Il fallait absolument que la famille Oster fasse partie des donateurs.

-Débrouilles-toi! Fais comme tu veux, prends ma gold ou caresse la bouteille. Du moment que le nom de notre famille est cité devant le maire, lui avait avancé son mari.

Quand les enfants rentrent pour déjeuner, elle s'enferme avec une bouteille de Bordeaux. Après, elle est à peine en train de répondre à des post Facebook. Pour se donner du courage, elle contemple la photo de mariage et la taille de guêpe qu'elle arborait avant les trois fausses couches et les cinq grossesses. Son petit dernier réclame un câlin à sa maman avant de repartir pour la maternelle. Elle avale un bonbon à la menthe pour éviter le leitmotiv du « maman, pourquoi ta bouche sent pas bon ? ».

La sieste improvisée de Caitlinn la mène tout droit sur le sol de la cuisine. Denise a tenté de prévenir les services sociaux par un coup de fil anonyme. On lui avait demandé des preuves et surtout fait comprendre que l'attitude de sa patronne n'était que la norme dans son quartier. Madame, voulez-vous vraiment retourner faire le ménage dans les tours et quitter la chaleur de cette banlieue résidentielle ?

-Denise ?

-Oui, Madame.

-Que ferais-je sans vous ?

-Pourquoi vous dites ça, Madame ?

-A quelle heure rentre mon mari ?

-Il revient lundi prochain, Madame.

-Les enfants arrivent dans combien de temps ?

-Il faudra aller les chercher dans vingt minutes, Madame.

-Vous vous en chargerez cette fois, Denise. Quand ils reviendront, dites leur que maman est sortie.

Denise acquiesce sans rajouter un mot. Une bouteille de Pinot dans les bras, la mère de famille regagne sa chambre, les joues encore plus roses et déterminée à trouver un moyen d'apparaître sur la liste des généreux donateurs de la ville.

EPILOGUE

Elianna ne comprend pas. Pourquoi les beaux talons de maman traînent sur le carrelage de la cuisine? Elle échappe à la vigilance de Denise et enfile les échasses. Elle fait maintenant un mètre trente. Arrivée la haut, elle presse la poignée de la chambre conjugale. Une fraction de seconde lui suffit pour fermer les yeux et se boucher le nez.