Conte de Noël

PROLOGUE

Les histoires les plus drôles sont souvent celles qui causent le plus de peine à leurs protagonistes. Celle-ci aurait pu figurer sur le mur d’un vulgaire réseau social accompagnée d’un banal lol si elle ne m’était pas arrivée cette année.  Avec un mélange d’effroi et de stupeur, je me souviens encore de ce moment. Je jure qu'ils ne me mirent dans la confidence qu’au dernier moment. Depuis, le sourire légendaire d'Alex s’est à tout jamais perdu dans la cruauté de ses pairs. 

J’avais rejoint la bande six mois avant le drame du mois d’avril. Un jour, j'avais demandé à Polo de quelle origine venait l’orthographe de son prénom. Avec son petit sourire et son regard innocent à la Ryan Gosling, il m'avait répondu: d’origine cool . C’est ainsi que j’ai rencontré la bande. Evidemment, Polo était marié. Il m'eue au premier regard. Il avait tout le temps ses mains fourrées dans ses poches. Aussi, je ne vu l’anneau que la semaine suivant notre rencontre.

Polo, Jacques et Alex se connaissaient depuis le lycée. Ils se voyaient plusieurs fois par semaine. Même avec deux enfants, Jacques honorait chaque semaine de sa présence les virées du groupe. Des petites amies et des maîtresses allaient et venaient dans la vie de la bande. Aussi, une dizaine de personnes constituaient chaque sortie du groupe.

Nous étions tous réunis pour le réveillon de Noël. Loin de nos familles respectives. Jacques avait eu cette idée en regardant une comédie américaine : l’histoire d’un groupe d’amis qui part fêter le réveillon sous les tropiques pour fuir les contraintes familiales liées à l'événement. A minuit, ils annoncèrent son cadeau à Alex :

-Mec, dans trois mois, tu rentres à la clinique.

-Un des meilleurs chirurgiens oculaires va te changer la vie. -Tu vas recouvrer la vue, poto.

-On s’occupe de tout. 

Trois mois étaient passés depuis le réveillon. A la fin du mois de mars, la fête des voisins battait son plein dans la cour de l’immeuble qui jouxtait la clinique. Ce jour là, Alexandre était admis. On lui avait promis qu’il en sortirait dans huit jours.

Quand il ouvrit les yeux, ce fut la fin.

Tous ses amis étaient là face à lui. Le médecin défaisait les bandes délicatement pour ne pas gêner le patient. Alex suait d’impatience : cela faisait huit jours qu’il tournait en rond, seul dans ses neuf mètres carré. Toutes les bandelettes gisaient maintenant sur le lit.

-Alors ? murmura le chirurgien.

 Jacques s’approcha de moi et me chuchota quelque chose à l’oreille. Je n’en revenais pas. Je restai bouche bée.

 -Alors ? répéta le chirurgien.

 -Je ne vois rien ! dit Alex en clignant des paupières.

 -Un instant. Monsieur, fermez à nouveau les yeux.

Alex s’exécuta.

-Et maintenant, jeune homme, vous voyez quelque chose?

Alex rouvrit les yeux :

-Non ! cria mon ami.

A ce moment là le calendrier se précisa dans ma tête. Le puzzle se forma devant mes yeux. Le timing était parfait. Ses amis hurlèrent tous en choeur :

 -Poisson d’avril!

EPILOGUE

Je n’ai plus jamais revu Alex. Pourquoi ne pas avoir dit quelque chose avant le coup de poignard du médecin? L’engrenage? La pression de la bande? Le regard cruel de Jacques quand il me chuchota l’arnaque dans l’oreille? Celui des autres épiant ma réaction ou la réaction stoïque de Polo, les yeux braqués sur ceux de son ami? En coupant les ponts avec tous ceux qui avaient participé à cette farce gigantesque, Alex remis de l’ordre dans sa vie. Aveuglé par ses propres pairs, sa naiveté lui aura fait quitter la bande. A jamais.